vendredi 9 mars 2018

Les Hussards Noirs de la République



L'idée républicaine à l’école
Avant 1914

livre d’histoire, 1896 (collection musée)


La religion de la Patrie


« La religion de la Patrie n’a pas de dissidents ! »
Jules Ferry, discours de Nancy le 10 août 1881.

Et Paul Bert, Ministre de l’Instruction Publique de surenchérir : « Il faut une religion pour le peuple ! Il faut une foi commune pour le peuple sans quoi il ne serait qu’une agrégation d’hommes juxtaposés par des intérêts communs… C’est cette religion de la Patrie, c’est ce culte et cet amour à la fois ardent et raisonné dont nous voulons pénétrer le cœur et l’esprit de l’enfant, dont nous voulons l’imprégner jusqu’aux moelles ; c’est ce que fera l’enseignement civique. » L’école sera donc le vecteur du républicanisme et du nationalisme. L’instruction civique en sera l’axe principal et dès lors, les symboles de la République seront de retour et investiront l’école (1).



Elève de l’Ecole Normale de Mâcon, promotion 1909-1912, en uniforme avec palmes brodées au revers de la veste (collection musée)


Sentiment nouveau pour un mot nouveau : le nationalisme, né après l'annexion par l'Allemagne victorieuse de l'Alsace-Lorraine, en 1871, au mépris du droit des populations à rester françaises, d’où, chez nous, une idée de guerre de revanche. Les couvertures de cahiers de l'époque évoquaient volontiers un esprit de revanche à travers des illustrations de batailles gagnées lors d'une guerre perdue... Cette agressivité s'atténua bientôt, pour disparaître avec le déclin des bataillons scolaires en 1892, bien que les territoires perdus figurassent toujours en grisé sur bien des cartes scolaires de la France. Quant aux ministres de l’Instruction Publique, successeurs de Jules Ferry, ils n’ont que peu fait allusion à ce premier conflit dans leurs instructions. Ils prétendaient, comme Poincaré en 1895, Briand en 1907, seulement réaliser l’enseignement militaire légalement prévu à l’école primaire ou secondaire. Malgré tout, l'Alsace-Lorraine suscitait toujours un attachement sentimental chez les Français et en 1914, à l'annonce de la mobilisation, la consternation précéda le sentiment d'un devoir à accomplir. Les instituteurs, même pacifistes jusqu'alors, comme Pergaud (2), allèrent risquer tout particulièrement leur vie au combat.


Protège-cahier, série « Quand tu seras soldat ! » avant 1900 (collection musée)


L’idée républicaine dans nos écoles locales


Mais à quoi toutes les prescriptions guerrières d’après 70 aboutirent-elles à l’orée du nouveau siècle ? A peu de résultats si l’on s’en rapporte, pour la Saône-et-Loire, du moins en 1897, aux déclarations de son Inspecteur d’Académie : « La gymnastique et les exercices militaires n’existent sérieusement que dans quelques écoles urbaines. Les jeux scolaires sont peu pratiqués ; sauf dans quelques écoles de filles… ». Au surplus, en 1908, à l’appel du Ministre de l’Instruction Publique et de l’Inspecteur d’Académie de Saône-et-Loire, pour une « œuvre » qualifiée d’ « éminemment patriotique » par celui-ci, le conseil des maîtres de l’école publique de Blanzy acceptait enfin, mais seulement enfin, d’organiser l’ « instruction du tir » pour les élèves d’au moins dix ans, à l’école de garçons. Les années suivantes, le conseil devenait muet au sujet d’un exercice militaire difficile pourtant à surveiller. Il en avait donc abandonné le projet probablement.


Registres de Conseil des maîtres de Blanzy (collection musée)

Registres de Conseil des maîtres de Blanzy (collection musée)


A Montceau-Centre, en 1907, le directeur de l’école, placé devant un problème semblable, demanda, en accord avec ses collègues de la ville, qu’il fut résolu par la municipalité. Celle-ci sollicita une subvention. Puis on n’en parla plus en conseil de maîtres de cet établissement. Très vraisemblablement, on omit d’exécuter des maniements d’armes dans les écoles élémentaires du Bassin minier de Blanzy-Montceau, sauf dans celles que dirigeaient les frères qui faisaient utiliser pour cela des bâtons. Une des explications possibles est probablement l’existence d’une tradition ouvrière socialiste forte et pacifiste en cette fin de siècle qui fut secouée par des mouvements sociaux importants.

Toutefois, bien des sociétés de tir s’organisèrent en France pour palier la désaffection de l’Institution à partir de 1896 et elles existèrent jusqu’en 1918, dans le cadre et sous la responsabilité d’une Union nationale. Depuis 1910, les jeunes gens y préparèrent un brevet d’éducation physique et de préparation militaire.


Protège-cahier, série « Quand tu seras soldat ! » avant 1900 (collection musée)


Institutrices, instituteurs et l’idée républicaine

La Troisième République met en place un Etat-nation éducateur, notion apparue durant la révolution française et oubliée jusqu’alors. Sans doute les instituteurs furent-ils surtout aptes à défendre la République moralement et, autour d’elle, le patriotisme. Contre quoi devaient-ils la défendre ? D’abord contre l’ignorance. En 1870, le sentiment national était inexistant, surtout dans les régions de la France rurale en retard de développement et il ne devait apparaître que progressivement avant 1914. Sans doute, de l’indifférence politique des paysans, leur analphabétisme avait-il été responsable, car celui-ci était bien plus répandu que ne le laissent penser leurs signatures de registres communaux.
Ainsi, en 1869, à Saint-Martin d’Auxy (71), d’après un compte-rendu de fraude électorale, bien plus de 16 électeurs savaient signer, mais il n’y en avait guère plus de deux qui savaient lire : l’instituteur et un paysan aisé. Dans les années 1890, à Torcy (71), le chef d’une grande famille illettrée à deux ménages de pauvres métayers pouvait se faire lire le journal par l’un de ses petits enfants qui fréquentait l’école laïque voisine et élargir enfin l’horizon de ses pensées (témoignage, archives du musée).


Ecole Normale d’institutrices de Mâcon, promotion 1894-1897 (collection musée)


Depuis l’affaire Dreyfus surtout (1894-1906), pour l’instituteur public, défendre la République, c’était aussi défendre son école contre une certaine droite cléricale et autoritaire qui commençait seulement à se rallier à la nouvelle forme de gouvernement. Dans une France encore en nette majorité rurale, l’instituteur, souvent secrétaire de mairie et animateur de cours d’adultes, avait l’occasion de faire partager ses sympathies pour une République évoluant vers la gauche. Méfiant à l’égard de la politique (celle que l’on fait), les maîtres d’alors se disaient par contre tous intéressés par les problèmes politiques. Il en était de même pour les maîtresses, bien plus isolées qu’eux, celles du moins qui avaient accepté d’apporter une part des 4 000 témoignages du corps enseignant d’alors, recueillis lors d’une enquête menée par un historien auquel ces idées sont empruntées (3).




Si par souci scrupuleux de la neutralité scolaire, l’enseignant limitait ses activités à son école, il y diffusait souvent, avec les manuels d’histoire Lavisse, ces pensées : « Aimes la France, détestez la guerre, travaillez pour l’humanité » et cette idée que les régimes autoritaires sont dangereux pour la paix. La République ne pouvait songer selon lui, qu’à se défendre.


Manuel d’histoire, 1891 (collection musée)


Il s’agissait donc de préserver la République, malgré la prépondérance acquise par l’Allemagne en Europe. Figurant en grisé sur bien des cartes scolaires de notre pays, l’Alsace-Lorraine annexée, n’était pas oubliée des français bien que peu d’entre eux n’eussent désiré la reconquérir par une guerre de revanche. Leur volonté de paix vient d’être démontrée par une analyse rigoureuse de documents inédits, notamment plus de 600 témoignages d’instituteurs, bien placés pour avoir connu, par sympathie, l’état d’esprit du peuple de chez nous . La mobilisation fut teintée de résignation le plus souvent, mais aussi, comme à Montceau-les-Mines, créa un élan de solidarité. Quant aux instituteurs, ils perdirent 22.6 % de leur effectif dans les combats.


Manuel d’histoire, 1891 (collection musée)



Pour conclure cet épisode, notons qu’en 1935, réunis dans un noble but de paix, des historiens français et allemands devaient convenir, en particulier, que l’idée de revanche, en France, « a constamment décliné après 1890 et n’a plus joué, dès lors, un rôle appréciable ». Leurs conclusions furent publiées en France le 15 mai 1937, dans « L’Ecole Libératrice », organe du syndicat National des Instituteurs (syndicat autorisé depuis 1924). Beaux efforts d’éducateurs en vue d’éviter une nouvelle guerre ! On ne doit jamais cependant les considérer comme vains. Mais ceci est une autre histoire qui vous sera contée en cette année 2018 lors de notre projet commémoratif de rentrée « Mômes et Instits du Centenaire : 1918, espoir d’une paix universelle ! Période 1918-1939 » avec l’exposition « Ecoliers, n’oubliez jamais ! » (Label National du Centenaire 2018).






Le souvenir des grandes tragédies qui ensanglantèrent l’Europe et le Monde s’est éloigné aujourd’hui mais pour combien de temps encore ? Seul reste vraiment actuel l’espoir renouvelé en la paix, inculqué par nos enseignants, en particulier, à notre jeunesse française et sans lequel il n’y aurait pas de véritable éducation.  



« La Marseillaise » (collection musée)


(1) : LA MARSEILLAISE : Maurice Faure, Ministre de l'Instruction publique, par un arrêté de décembre 1910, charge une commission d'établir une version officielle de la Marseillaise à l'usage des écoles.
Le 25 février 1911, ce chant, devenu hymne national de la République est enseigné dans les écoles. Cela apparaît comme nécessaire, car la Marseillaise n'est pas connue de la grande majorité des Français bien que décrétée chant national le 26 messidor an III (14 juillet 1795) puis à nouveau en 1879.
Pour l'exécution scolaire, on recommande de chanter le premier et le dernier couplet des six écrits par Rouget de Lisle et entre les deux, un troisième couplet appelé "le couplet des enfants", écrit en 1792 par un écrivain de Lisieux, Louis Dubois.


Manuel d’éducation civique, 1905 (collection musée)


La Déclaration des Droits de l’Homme (collection musée)


LA DECLARATION DES DROITS DE L'HOMME : La déclaration des droits de l'homme et du citoyen a permis à Jules Ferry de braver le passé en s'appuyant sur le principe selon lequel "tous les hommes naissent libres et égaux en droit".
Tout homme est un être pensant et la Nation a le devoir de l'instruire pour qu'il acquière responsabilité et dignité : "toute sa dignité consiste dans la pensée". On doit abolir l'inégalité de culture, ce qui implique l'obligation scolaire.
Votée par l'Assemblée Constituante le 2 octobre 1789, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen doit être affichée dans toutes les écoles de France à la suite d'une décision de la Chambre des Députés du 28 mars 1901. A noter que certains directeurs avaient devancé ce vote dans leur école.  


Règlement des écoles primaires élémentaires publiques de Saône-et-Loire, 1890 (collection musée)


LE REGLEMENT DEPARTEMENTAL: Suivant le Décret du 18 janvier 1887, un règlement des écoles primaires publiques de chaque département est rédigé par le Conseil départemental de l'Education Nationale, d'après les indications du règlement modèle arrêté par le Ministre de l'instruction primaire en Conseil Supérieur. Il fixe le cadre disciplinaire et les devoirs des enfants, des familles et des maîtres dans le respect des prescriptions de la République.

(2)  : Louis Pergaud, au centre en vareuse claire, instituteur dans le Doubs,  prix Goncourt 1910 avec « De Goupil à Margot », auteur de « La Guerre des Boutons » en 1912, fut porté disparu le 8 avril 1915, son corps n’a jamais été retrouvé, comme bon nombre de ses compagnons d’infortune.




(3) : « Retour sur une enquête », pages 25 à 36 du livre du Musée de la Maison d’Ecole « Cent ans d’Ecole ». Jacques Ozouf s’intéresse à l’école depuis les années 1962-1963, date à laquelle il eut l’idée d’entreprendre, par voie postale, une enquête d’opinion rétrospective auprès des instituteurs français ayant exercé avant 1914. Il avait alors envoyé 20 000 questionnaires et obtenu 4 000 réponses. Il a présenté un certain nombre de résultats en 1967 dans « Nous les maîtres d’école, Autobiographie d’instituteurs de la Belle Epoque » (Juillard). Il a poursuivi ses recherches sur l’école (contenu de l’enseignement, manuels scolaires, journaux pédagogiques, vie associative des instituteurs) dans de nombreux articles et sur l’alphabétisation dans le livre publié en 1977 avec François Furet : « Lire et écrire, l’alphabétisation des français de Calvin à Ferry »  (Editions de Minuit).

A l’occasion du centenaire des lois Ferry, Il en dressa le bilan avec le groupe de travail du musée en 1981 dans « Cent ans d’Ecole ».

Vous retrouverez prochainement sur le blog, un article évoquant les conclusions de cette enquête.  

P.P













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