samedi 2 septembre 2017

Histoire de Jules écolier de 1900 (X)

« Petite histoire d’un écolier d’autrefois  expliquée aux enfants d’aujourd’hui »

Illustration de Ray-Lambert, illustrateur entre autres du "Petit Gilbert" et du "Pays Bleu" (collection musée)


CHAPITRE X
“Youpi ! La récré ! »


La rentrée des classes est maintenant achevée et octobre est désormais entamé. L’école résonne d’une douce mélopée enfantine : "trois fois trois, neuf – quatre fois trois, douze – cinq fois trois, quinze..." ou d’un chant repris en cœur : "Alouette, gentille alouette. Alouette, je te plumerai…" Mais surtout, les clameurs de la récréation montent des murs de la cour à intervalles  réguliers car, en effet, la journée de classe n’est pas faite que de labeur… on y joue aussi.



Jules préfère les billes dont les règles se sont diversifiées au fil du temps : la "Picate", qui voit deux joueurs s'affronter avec chacun une bille de même taille et de même valeur (terre, agate, boulet...), a sa préférence. L’un d’eux lance sa bille et l'autre doit, depuis le point de départ, la viser avec sa propre bille. S'il la manque, le premier vise à son tour la bille adverse depuis l'endroit où il a ramassé la sienne... Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'une bille soit enfin touchée par l'autre. Le vainqueur ramasse les deux billes. La "Poule", elle,  se joue à 2 joueurs ou plus. Une bille est placée au sol devant un mur et chaque joueur à tour de rôle  lance une bille en direction du mur, elle doit retomber directement sur une bille au sol. Si le joueur réussit, il gagne toutes les billes à terre.

Jeu de billes vers 1960 (collection privée)

 Le "Triangle", lui, se joue à 1 ou plusieurs joueurs,  on trace sur un sol plat un triangle équilatéral, chaque joueur dispose d'une mise en billes convenue à l'avance. Au départ, on se place à bonne distance du triangle et chacun lance son calot (ou béret) à son tour pour faire sortir le plus de billes du triangle. Chaque bille sortie est gagnée par le tireur. En cours de jeu, on lance son calot depuis son point de chute. S'il reste dans le triangle, on doit remiser des billes pour le récupérer et on rejoue de la ligne de départ. La "Retourne" se joue sur le même principe que la "Poule", mais on doit toucher le mur avant de toucher une bille du jeu.

Tout est dans le coup d’œil !

Les plus jeunes ou les filles préfèrent un jeu plus calme : le cerceau qui requiert pratique et habileté pour maintenir un cerceau de bois vertical et le faire avancer en ligne droite ou en zigzag. On court à côté de lui un peu en retrait et on fait en sorte qu'il continue à rouler en lui donnant de temps en temps des petits coups de baguette.

Carte postale vers 1900 (collection particulière)

Une fois la technique dominée, on peut participer à des courses : au signal, les joueurs lancent leur cerceau et doivent parcourir la distance prévue le plus rapidement possible, le premier arrivé est vainqueur. La course peut être un relais et elle a d'autres variantes : on peut sauter dans le cerceau qui roule, lancer à travers lui différents objets (balle, fléchette)... Les cerceaux sont aussi l’objet de véritables concours officiels où les champions en culottes courtes s’affrontent sous le regard d’un public passionné.


Source gallica.bnf.com

Une autre occupation, bien plus experte celle-ci, est largement plébiscitée par d’habiles spécialistes : les osselets. Si le matériel utilisé est rudimentaire (il suffit en effet de récupérer chez le boucher ou à la ferme,  des petits os de pied de mouton et de les faire blanchir), les règles de ce jeu qui remonte à la nuit des temps, en sont complexes et les difficultés progressives. On commence par « la partie Simple ». On continue par « la partie de Bosse ». Vient ensuite « la partie de Creux ». On passe ensuite à 1 de « partie de Di », puis à 1 de « partie de  Dès », puis à la « Petite Omelette », à la « Grande Omelette », à la « partie Sévère », à la « partie Sévère à la Touche » (1)

Joueuse aux osselets, vers 500 avant JC (Musée du Louvre)

La toupie, fut un temps, était la reine des cours de récréation, bien que chacun n’en possédât pas (2).

Musée de Franche-Comté

Du côté des filles, la corde remportait tous les suffrages. Bien avant d’être un jeu individuel avec l’arrivée de la corde à sauter courte, elle était un jeu collectif utilisant une longue corde épaisse qui permettait à un groupe important de participer à différentes figures (3).

Carte postale vers 1900 (collection particulière)

Même pour les grandes !

 Le jeu des  épingles eut son heure de gloire. Ce jeu singulier réunissait deux joueuses ou plus et ressemblait pour beaucoup au triangle avec des billes dans une version plus féminine. Un cercle était tracé au sol, des épingles à tête de verre étaient disposées à l'intérieur. Chaque joueuses à son tour devait frapper les épingles avec une balle, afin d'en expulser le plus grand nombre en dehors du cercle. La gagnante était celle qui avait ramassé le plus d'épingles au cours de la partie. A l'évidence, ce jeu représentait un réel danger dans une cour de récréation, il fut vite interdit et les épingles remplacées par des objets moins piquants (on utilisa alors des cailloux, des morceaux de bois, des bûchettes ou des brindilles). On peut aussi trouver une analogie troublante entre ce jeu et les "Pogs" des années 1990.

Jeu des épingles (collection musée)

On voit bien que tous ces jeux n’utilisaient que peu de matériel manufacturé, à l’image de la marelle qui ne nécessitait qu’une craie et un galet plat (4).

Jeu de marelle (Pinterest)

Il n’en était pas de même  en ce qui concerne « La Petite Maîtresse d’Ecole ». Avant la guerre de 1914-1918, on trouvait dans certaines écoles, un coffret très complet qui permettait aux petites filles une identification avec leur "maîtresse d'école". Il était vraisemblablement utilisé, en cas d’intempéries, pour des récréations à l’intérieur de la classe (5).

Jeu de la Petite Maîtresse d'Ecole (collection musée)

La plupart du temps, les jeux étaient peu manufacturés, certes, mais montraient parfois le génie du bricolage des écoliers de l’époque et, à ce sujet, comment ne pas évoquer ce jeux interdit mais combien usité par les polissons… le lance-pierre ! Il fut moins redouté par les belligérants de la « Guerre des Boutons » que par les malheureux moineaux qui firent souvent les frais de l’apprentissage de chasseur de ces aventuriers en culottes courtes (6).

Lance -pierre (collection particulière)


(1) : LES OSSELETS :
- La partie Simple : le joueur prend les osselets dans la paume de sa main, les lance vers le haut, retourne sa main et doit recevoir le maximum d'osselets sur le dos de sa main. S'il reçoit les 5 osselets sur le dos et réussit en retournant la main, à les recevoir tous les 5 dans la paume, le joueur passe directement à 1 de "Bosse", sinon le joueur reste à 1 de partie Simple (c'est-à-dire qu'il doit, si 2 osselets sont restés au sol, les prendre 1 par 1 en lançant en l'air un des 3 osselets restés dans sa main). Le joueur passe ensuite à 2 de la partie Simple, il lance les 5 osselets et essaie de les récupérer sur le dos de la main puis dans sa paume. S'il réussit avec 5 osselets, il passera à 2 de "Bosse", sinon il doit ramasser 2 par 2 les osselets restant au sol en lançant un osselet en l'air comme précédemment... et ainsi de suite jusqu'au 4 de partie Simple : rafler 4 osselets ensemble.
- La partie de Bosse : le joueur doit lancer les 5 osselets en l'air, les récupérer sur le dos de la main puis dans la paume. Si on réussit, on passe à 1 de "Creux", sinon on doit les ramasser 1 par1 en ayant auparavant pris soin de les mettre sur "Bosse".
- La partie de Creux : on doit jouer comme précédemment, mais en plaçant les osselets sur "Creux". On passe ensuite à 1 de partie de "Di".
- La partie de Di : idem mais on joue avec les osselets sur "Di" et on passe au  1 de partie de "Dès".
- La partie de Dès : idem mais on joue avec les osselets sur "Dès" et on passe  à "Petite Omelette".
- Petite Omelette : le joueur lance les 5 osselets en l'air, s'il les récupère tous les 5 sur le dos puis dans la paume de la main, il passe à "Grande Omelette", sinon il garde les osselets récupérés dans la paume, il en lance un et il essaie de prendre ceux restés au sol 1 par 1 puis 2 par 2 ... Quand il a réussi, il passe à la suite.
- La Grande Omelette : comme précédemment, mais on lance les osselets récupérés dans la paume, tous ensemble vers le haut pour rafler les autres 1 par 1, 2 par 2 ... Quand on a réussi 1-2-3-4 de Grande Omelette, on passe à partie sévère.
- La partie Sévère : le départ se fait en lançant les 5 osselets au sol. On prend obligatoirement l'osselet rouge et on récupère 1 par 1 les osselets au sol sans toucher ceux que l'on ne prend pas, puis on passe à la récupération par 2, par 3, par 4... Ensuite on passe à 1-2-3-4 de partie Sévère Bosse, Creux, Di, Dès.
- La partie Sévère à la Touche : idem sauf qu'avant de rafler, on doit toucher.

(2) : LA TOUPIE :
Elle était faite de bois plein strié de lignes parallèles pour maintenir la cordelette de lancement, elle avait une pointe de métal à sa base. Le joueur enroulait la cordelette en commençant par le bas, il tenait son extrémité dans la main et de l'autre, il tenait la toupie à quelques centimètres du sol. D'une manière synchronisée, il tirait la cordelette et lâchait la toupie qui devait tourner le plus longtemps possible. Le jeu consistait à maintenir la toupie en équilibre le plus longtemps possible. Le but pouvait être aussi la rencontre de deux toupies tournant en même temps, chaque joueur s'efforçant de projeter sa toupie contre une autre pour la faire culbuter. Plus tard, la toupie « parisienne » fut en métal et ronflait en tournant, la toupie « d'Allemagne » fut en bois creux percé et ronflait de même. De nombreuses autres variantes existent actuellement. A noter que les toupies furent interdites dans les cours d'école…

(3) : LA GROSSE CORDE :
- Suivre le chef : les joueurs sont en rang devant une corde que 2 enfants font tourner. Le premier est le "chef" qui donne le ton, il entre dans l'arc de la corde, chante le couplet d'une chanson et ressort. Chacun passe ensuite à son tour, si un joueur se trompe, il remplace un de ceux qui font tourner la corde.
- En passant : deux joueurs font tourner la corde, les autres rentrent dans l'arc de la corde chacun à leur tour, sautent une fois et en ressortent. On recommence en sautant deux fois et ainsi de suite... Les deux premiers perdants remplacent les joueurs qui font tourner la corde, les suivants sont éliminés, le dernier joueur est vainqueur.
- La barque : au lieu de faire un tour complet avec la corde, on doit la faire se balancer de gauche à droite en frôlant le sol. Chaque joueur doit sauter par-dessus, une ou plusieurs fois sans toucher la corde avec ses pieds. Après chaque série de passages, on relève la corde de 5 cm et on recommence. Le joueur qui touche la corde est éliminé.
- L'horloge : un joueur prend par une extrémité une longue corde qu'il étend devant lui comme l'aiguille d'une montre. Douze joueurs qui représentent les heures se mettent en rond autour de lui, à la portée de la corde. Le joueur du centre fait tourner la corde et ceux qui l'entourent doivent sauter à son passage. Les joueurs qui touchent la corde sont éliminés.

(4) : LA MARELLE :
- La Marelle traditionnelle : le joueur se place avec son palet dans la case Terre, il lance le palet avec la main dans la case 1, il doit alors sauter cette case et tomber à cloche-pied en 2, à cloche-pied en 3, pied droit en 5, pied gauche en 4, pied droit en 6, cloche-pied en 8, pied gauche en 7. On effectue ensuite un demi-tour et on revient selon le même modèle à la différence que l'on marque un arrêt cloche-pied en 2 pour ramasser le palet resté en 1. Pour finir, on saute la case 1 et on retombe à pieds joints sur "Terre". On recommence en jetant le palet case 2. On perd son tour lorsque : le palet est à cheval sur la ligne, si on marche sur les lignes, si on manque la case visée. On reprend son tour à la case à laquelle on avait échoué.
- La Marelle poussée (de "six") : on pousse le palet en case 1 avec la main, on rentre à cloche-pied dans  celle-ci et on pousse  ensuite le palet avec le pied de case en case (1, 2, 3,...). Lorsqu'on est passé successivement dans toutes les cases sans que le palet ne sorte des limites, on attribue au joueur une parcelle de case (1/8). Il peut s'y reposer à 2 pieds au sol et les autres ne peuvent pousser le palet.
La Marelle peut être numérotée de différentes manières et on peut choisir de pousser le palet  soit de plusieurs petits coups de pied, soit d'un seul.

(5) : LA PETITE MAITRESSE D’ECOLE :
Le coffret de jeu de 35/30/10cm contenait : 1 alphabet, 1 boulier, quelques petits cahiers (écriture, dessin, brouillon), 1 livret de notes, 1 tableau d'honneur, 1 prix d'honneur, 1 croix d'honneur. De tout temps l'enfant a, dans ses amusements, imité les occupations des adultes, ce jeu de société en est l’exemple même.  S'impose alors une double remarque :
- Ce jeu s'adresse à des petites filles, il y a déjà une forte tendance à la féminisation de la profession.
- C'est l'indice que le métier d'instituteur est alors valorisant. C'est encore le temps où, dans une France essentiellement rurale, entrer dans l'enseignement était une incontestable promotion, sinon financière, du moins sociale. Le "Maître d'école" était à cette époque un notable communal, d'autant qu'il exerçait souvent la fonction de secrétaire de mairie dans les villages.

(6) : LE LANCE – PIERRE :
Outil du braconnier juvénile, il était composé d’une fourche de noisetier ou de coudrier soigneusement choisie,  taillée sur mesure, écorcée et durcie dans le four du poêle. On fixait à  l’extrémité de chaque fourche deux morceaux de caoutchouc carré d’une vingtaine de centimètres (ou deux morceaux d’une vieille chambre à air selon ses moyens), caoutchouc que l’on raccordait par une petite poche de cuir destinée à recevoir le caillou que l’on avait décidé de projeter vers la cible choisie. Il fallait veiller à équilibrer le dispositif (longueur des caoutchoucs, longueur des fourche, droiture du bois) sinon gare au poignet !


Pour approfondir le sujet, rendez-vous à la rubrique « L’école dans l’histoire ou histoire d’école » pour voir l’article « Les jeux des écoliers d’autrefois » qui sera publié prochainement et « La cour de récréation » dans la rubrique « Les objets du musée ».


P.P















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