vendredi 26 mai 2017

Pierre VAUX, instituteur et martyr


Les conférences du Musée de la Maison d’Ecole

Jacques BROYER

Pierre VAUX, instituteur et martyr

Conférence de Jaques BROYER,  Auditorium des Ateliers du Jour à Montceau-les-Mines :


Inspecteur de l’Education Nationale honoraire. Durant ses trente ans de carrière, dans l’une de ses affectations professionnelles, Jacques BROYER eut en responsabilité l’école du village de Longepierre. En fouillant quelques années plus tard tous les aspects de l’affaire judiciaire et son contexte, il a découvert la vie d’un homme exceptionnel qu’il fait revivre dans son ouvrage.



Le propos : (Texte fourni par le conférencier)

« Ma première rencontre avec Pierre Vaux date de 1984, lors d’une visite de l’école de Longepierre installée, contre toute attente, dans un ancien cabaret, celui du coupable des incendies de 1851 qui ont conduit à envoyer Pierre Vaux, instituteur de la commune au bagne de Cayenne d’où il n’est jamais revenu.
La seconde rencontre est  dans l’ouvrage d’Auguste Buchot qui est paru initialement en 1883. Buchot refait alors le récit des événements de Longepierre pour mettre en lumière la vérité et obtenir la réhabilitation de Pierre Vaux. Voici, en résumant, les principaux éléments de l’affaire :
-       Le drame se noue dans la nuit du 2 au 3 mars 51 avec 2 incendies qui partent simultanément de deux points opposés du village. On retrouve des traces d’allumettes.
-       Huit  incendies vont se produire au cours des mois suivants. Pierre Vaux est alors arrêté ainsi que 4 autres personnes, tous élus républicains en 1848. Ils sont condamnés sur la base d’un faux témoignage en juin 52 qui prétend que les incendies sont l’œuvre d’une « société d’incendiaires » qui se réunit chez Pierre Vaux.
-       Les incendies vont se poursuivre jusqu’en 59. Au total, 65 maisons vont disparaître sur les 104 que compte alors le village.  Il y aura deux autres procès qui auraient pu conduire à la vérité, les vrais coupables de ceux de 51 seront arrêtés, le faux témoin avouera ses mensonges le 7 décembre 55 mais les aveux disparaîtront et c’est à partir de ce moment que l’on peut parler d’un « crime judiciaire ». Le procès de 52 ne sera jamais révisé. Entre temps, Pierre Vaux est parti au bagne de Cayenne d’où il ne cesse de crier son innocence et où il meurt en 75 après avoir connu d’autres épreuves.
Si l’affaire n’était pas si tragique, on pourrait la comparer aux meilleurs feuilletons de l’époque dont elle possède tous les ingrédients. Elle nous révèle un homme hors du commun, immense :
-       Par son attachement sans borne à la justice et à la vérité, indigné par l’injustice sociale.
-       Par son courage à imposer ces valeurs quoi qu’il arrive et face à qui que ce soit, il se définit lui-même comme « inflexible ».
-       Par sa rigueur morale
-       Par sa capacité de résistance aux épreuves et à la souffrance morale et physique, résistance puisée dans sa prime éducation
-       Par l’affection qu’il porte à ses proches : c’est un frère et un père attentif
-       Par sa culture aussi, son aptitude à l’écriture que l’on peut voir dans ses lettres et quelques écrits de sa main.
A la lecture du drame, on peut répondre aux questions : « qui a tué Pierre Vaux ? » et plus ou moins à « qui est Pierre Vaux ? », en revanche subsiste un ensemble de questions sous-jacentes.
Comment cet homme d’origine modeste, est-il devenu cet homme admirable, exceptionnel ? D’où vient-il ? Quelle a été son évolution personnelle ? Sa formation morale et intellectuelle ? Pourquoi s’est-il ainsi fracassé contre l’adversité ? Quelles étaient ses fragilités ?
C’est à ces questions que nous avons voulu répondre.

L’enfance

Pierre Vaux est né à Molaise, devenu hameau d’Ecuelles en 32. Il est né en janvier 21 dans une famille de vignerons car Molaise, siège d’une abbaye, a encore des vignobles à cette époque. Le milieu est modeste, 4 enfants sont déjà nés mais la situation s’assombrit avec le décès du père en 22. La même année, un cinquième enfant arrive. La mère doit trimer dur avec l’aide des proches sur les terres qu’elle cultive. Deux ans plus tard, elle se remarie avec Emiland  Gagey, huilier et  vigneron lui-aussi. De cette union naîtront encore 4 enfants dont deux survivent. La fille ainée du précédent mariage meurt aussi à 10 ans. La mort est constamment présente. Pierre Vaux lui-même a été un enfant fragile, au développement lent, sa mère a eu peur de ne pas le garder.
            - La famille est certainement un ancrage fort pour sa vie future : comme toujours à la campagne, en cas de coup dur, les proches, oncles et tantes sont là. Elle est protectrice. Pierre Vaux a toujours gardé des liens avec son frère François et son demi-frère Vincent qui comme lui seront instituteurs. Emiland Gagey est un homme bon qui ne fait pas de différence entre ses enfants et favorise leur éducation.
            - Pierre Vaux parle peu de lui. Sur cette période, il dit avoir été élevé comme n’importe quel enfant de la campagne. Cela signifie des conditions matérielles difficiles : on vit dans une pièce commune, on ne mange, on ne porte sur soi, on n’utilise que ce que l’on produit et l’on espère qu’il n’y aura pas de maladie ou de catastrophe naturelle ou encore de crise viticole comme cela arrive régulièrement. On a peu de contacts avec le monde extérieur et l’on travaille dès le plus jeune âge pour survivre. L’enfance n’existe pas vraiment. En même temps, si l’on parvient à l’endurer, cette précarité renforce au physique comme au moral : elle immunise contre les épreuves. Le travail est au cœur de la vie et du quotidien. La religion également : la Révolution a entraîné une certaine déchristianisation des consciences, surtout chez les hommes, mais la Restauration s’emploie à inverser la tendance, avec maladresse d’ailleurs, car les moines qui tentent de redonner la foi aux paysans lors des « missions » régulières au village, par la menace, vont en réalité semer le doute chez plus d’un. On voit donc les valeurs qui imprègnent la prime enfance : l’effort, le travail, la solidarité familiale, la foi religieuse où ce qui en tient lieu pour le moment.
             - C’est l’école qui va représenter une étape majeure dans la vie de Pierre Vaux. Son frère François, né 4 ans avant lui, l’y a précédé et représente le modèle de l’aîné. Dans cette partie du département, on scolarise plus qu’ailleurs (paysages ouverts, voies de communication…On trouve très tôt une école à Molaise par exemple). Toutefois, en ce premier tiers du 19ème siècle, l’école primaire est encore dans sa préhistoire. Lorsque Paul Lorain en 1833 sera chargé par Guizot d’un état des lieux sur la France entière, il va découvrir une situation catastrophique : les conditions matérielles sont mauvaises, les élèves nombreux dans un local trop petit n’ont souvent pas de place pour s’asseoir. Les maîtres n’ont pas eu de formation et se débrouillent avec une méthode individuelle : les élèves viennent lire, écrire, compter tour à tour avec le maître et s’ennuient le reste du temps, surtout ceux qui ne reçoivent pas les trois enseignements car les parents payent plus ou moins cher selon le nombre de matières enseignées. Comme le maître ne sait pas où donner de la tête,  les meilleurs élèves sont utilisés comme répétiteurs : compte tenu de son parcours ultérieur et comme son frère, on peut penser que Pierre Vaux a été un de ceux-là et qu’il y a là une origine possible de sa vocation.
Pour débuter la lecture, un manuel existe à peu près partout : la Croisette ou Croix de Jésus qui sert de support pour apprendre à lire et à écrire à partir de phrases apprises par cœur.  L’entraînement se fait le plus souvent sur les documents que les élèves apportent, les parents y tiennent mais cela oblige également à utiliser la méthode individuelle. Un autre ouvrage est utilisé pour l’entraînement : Simon de Nantua. C’ est l’ancêtre du Tour de France par deux enfants. Ici, un colporteur parcourt  avec un compagnon l’est de la France et prône le travail et l’éducation partout où il passe. Un troisième manuel est sans doute aussi en usage : la grammaire de Lhomond, premier ouvrage simplifié de français destiné aux écoles, très complet qui explique les bases solides du jeune Pierre Vaux dans ce domaine et restera pour lui un vadémécum y compris au bagne. Autre point à noter : cette école est le règne du par cœur, pour l’esprit critique on verra plus tard… Enfin, elle est inséparable de la  religion, toutes les demi journées commencent et finissent par la prière. Le curé veille. Le maître est tenu d’emmener ses élèves à la messe, lui-même doit interrompre son enseignement pour les obsèques, baptêmes, mariages…   Religion, travail, éducation : les valeurs du premier âge sont confortées par l’école.
-       Dans ce tableau d’une personnalité en construction, on ne peut manquer d’évoquer le récit familial. Souvenons-nous que la période précédant la naissance de Pierre Vaux est une période très mouvementée : Révolution, Empire, Restauration. Il a neuf ans lorsqu’arrive la Monarchie de Juillet. Ses ancêtres encore vivants en parlent et lui parlent de ce qui a marqué les campagnes.  Ce récit doit faire son chemin dans son esprit, lui suggérer des questionnements, un peu à la manière dont l’évocation des deux dernières guerres par nos aïeux à fait son chemin dans le nôtre. Il a contribué à faire son éducation citoyenne.

La jeunesse

Deux périodes clefs sont à retenir sur cette période qui va de 1835 à 1842 :
            - Pierre Vaux, apprend le métier de sabotier à partir de 1835. Enfant de la campagne, il sait déjà faire beaucoup de choses de ses mains. Ici, il se spécialise par l’apprentissage d’un métier du bois qui va lui donner des connaissances utiles le moment venu. La documentation sur ce métier souligne fréquemment que les sabotiers sont des gens de fort caractère : ils vivent entre eux, loin des villages encore à cette époque, s’opposent souvent aux gardes forestiers qui les soupçonnent de rapiner le bois et de braconner… De retour à la maison, il exercera peu mais il n’oubliera pas ce métier à Cayenne. Son activité principale reste depuis sa sortie de l’école, la culture sur l’exploitation familiale. La famille continue ainsi de le protéger.
            - En parallèle, les hivers 39 et 40, il est sous-maître chez son frère, instituteur à Viry en charolais. Depuis 1833, une nouvelle page de l’histoire de l’Ecole est en train de s’écrire. François Guizot a fait voter une loi qui oblige, entre autres, les communes à ouvrir une école, à l’installer dans les conditions qu’il fixe, à financer le salaire de l’instituteur (200 francs par mois auxquels s’ajoutent, comme par le passé, un écolage versé par les parents chaque mois. Guizot a cependant recommandé un tarif unique sans distinction entre les trois matières fondamentales : 0,50 pour lire, 0,60 pour écrire, 0,75 franc pour compter à Longepierre par exemple). Il fait publier des séries de manuels dans différents domaines envoyées gratuitement à toutes les écoles. Enfin, il demande la création d’Ecoles normales dans les départements. Le travail du sous-maître est variable : il peut décharger le maître en poste des tâches ingrates (l’apprentissage de l’écriture, le service du curé… voir le conte d’Erckman-Chatrian Histoire d’un sous-maître). Il peut servir de répétiteur lorsque l’enseignement reste individuel, il peut avoir la charge d’une division lorsque la classe est organisé en sections…A Viry, François a pris son frère sous sa protection et il le prépare au concours d’entrée à l’école normale à la fois par l’observation d’une classe, la pratique, l’échange d’idées sans doute sur cette pratique. L’ancrage définitif de la vocation d’enseignant est bien là. L’ intérêt pour cette mission sera encore présent à Cayenne où Pierre Vaux apprend à lire aux indigènes de la colonie.

L’école normale

Celle où entre Pierre Vaux se situe encore, en 1842, en face de la préfecture actuelle alors palais épiscopal. C’est un ancien couvent. Elle déménage en 43 rue d’Egypte, parallèle à la Saône, un peu plus bas, dans le même quartier, toujours dans un ancien couvent.
C’est le moment déterminant pour l’évolution personnelle de Pierre Vaux, un véritable bond en avant :
            - Sur le plan humain, il retrouve là des conditions de vie austères auxquelles il n’a pas de peine à s’adapter : on travaille 12 heures par jour, 6 jours sur 7, on mange mal, on assume les tâches ménagères en punition (le personnel est réduit car il ne faut pas que les normaliens deviennent des « messieurs ») on prie et on ne sort pas… On partage cependant ses jours avec des condisciples. La rencontre avec d’autres jeunes gens est certainement l’occasion de découvertes littéraires et de conversations sur les sujets les plus divers qui éveillent l’esprit. Dans la promo de 42-44, on retrouve plusieurs normaliens qui suivront un parcours politique similaire comparable à celui de Pierre Vaux. De même dans la précédente avec un certain Désiré Barodet…
            - Sur le plan professionnel, les élèves sont censés assimiler le fameux Manuel des aspirants aux brevets de capacité, vaste somme de connaissances dans tous les domaines dont la pédagogie, la conduite d’une école, ce qui est nouveau dans la formation. On le complète par l’étude des manuels en usage et par la pratique de classe dans une école d’application créée en 1843. On peut parler d’une véritable formation au métier. S’y ajoute une préparation à la fonction de secrétaire de mairie : rédaction des actes, des courriers, budget…Les élus ne savent pas toujours lire et écrire.
            - Sur le plan intellectuel, outre l’ouverture sur des connaissances nouvelles,  l’entraînement à la rédaction, même  sur des sujets de religion ou de morale, est bénéfique pour la construction mentale des élèves et l’éducation de leur esprit critique. Les quelques auteurs autorisés comme Bossuet, Fénelon, La Fontaine conduisent à d’autres (lorsque la machine est lancée, on ne l’arrête plus…). Les auteurs du siècle sont interdits par le pape, y compris d’ailleurs Lamartine , Hugo et bien sûr tous les grands romanciers de la période considérés comme dangereux. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne circulent pas sous le manteau et avec l’aide des professeurs… A l’EN, on lit beaucoup car après les études, on n’a que ça à faire. Pour Pierre Vaux, au moins deux auteurs doivent être cités car il en parle lui-même  dans ses écrits : Lamartine qu’il connaît sans doute avant l’EN et à l’E.N. en personne, il vient en effet rencontrer les élèves en tant que président du Conseil Général lors de la remise des prix (« vous êtes les missionnaires de l’intelligence » leur dit-il en 42). C’est par lui qu’on arrive à Lamennais et au courant du catholicisme social. C’est par ce courant que Pierre Vaux remet en question la religion de son enfance et acquiert ses convictions nouvelles : foi en un Dieu Providence et rejet de la religion établie et des prêtres pour la plupart du côté des pouvoirs en place, justice sociale, vérité. Lamennais le renforce aussi dans son adhésion à la valeur travail, à la défense d’un juste équilibre entre les droits et les devoirs, au combat pour la justice sociale et même à la libération des peuples. Lamennais invite clairement à affronter ceux qui détournent les biens et le pouvoir à leur profit, aux prêtres qui couvrent ce système. Lamennais a gardé une place particulière pour Pierre Vaux, c’est le seul des porte-parole du catholicisme social qui a refusé de rentrer dans le rang après la condamnation du pape par deux encycliques. C’est le socle sur lequel Pierre Vaux fondera son adhésion à la République, son opposition face à ceux qu’ils considèrent comme des oppresseurs, avec en outre le souvenir idéalisé des républiques de l’antiquité. Il y a sans doute eu d’autres influences car Pierre Vaux est un lecteur assidu : Rousseau et les philosophes des lumières, Michelet, Louis Blanc, Pellico poète et résistant italien.  Son fils évoque des auteurs comme Jean Hüss, Savonarole, Etienne Dolet, Socrate que son père lisait à Cayenne…Pierre Vaux les a connus au cours de ses études et retrouvés lorsqu’il s’est occupé de la bibliothèque du gouverneur à Cayenne. Ce sont tous des hommes en rupture, voire des martyrs.
L’EN confirme ce que nous avons perçu dès l’école primaire et qui a muri durant les hivers passés à Viry : une passion pour le métier d’enseignant et un goût affirmé pour les idées. Le premier projet dont il parle à son épouse depuis Cayenne lorsqu’il songe à s’établir, est celui d’ouvrir une école dans un village…

Longepierre   

            Muni de son diplôme du 1er degré, avec lequel il pourrait briguer une école primaire supérieure, voilà Pierre Vaux à Longepierre en 1844. C’est désormais un homme accompli. Il est solide physiquement, grand, les yeux gris comme le décrit la presse lors de son procès. C’est aussi un homme cultivé, évidemment plus que la moyenne de ses contemporains. Sans en tirer de l’orgueil, il en est fier. Deux points doivent cependant être rappelés : d’une part ces hommes très bien éduqués sont mal payés dans une époque où le statut social passe par le revenu et le degré d’imposition. Ils perçoivent 200 F par an plus les frais d’écolage payés par les parents, guère plus qu’un journalier, le kilo de pain coûte alors 0,30 c. Si l’on se souvient que le vote est censitaire jusqu’en 48, ils n’atteignent pas, le plus souvent, le seuil nécessaire pour les municipales (seuls 10% des hommes les plus imposés votent, ce qui placent la plupart des artisans et les propriétaires moyens devant les instituteurs… pour les niveaux supérieurs (canton, assemblée nationale) le niveau est encore plus élevé. D’autre part, la loi Guizot les a placés dans la dépendance du maire et du curé via un comité local de surveillance, alors que de par leur niveau d’études, ils peuvent aisément dominer les affaires communales.
 A Longepierre, Pierre Vaux  est accueilli avec un peu de réticence : on se méfie de ce normalien sans doute exigeant, porteur d’idées nouvelles sur l’école et la religion, qui risque de se montrer supérieur à ceux qui tiennent la commune. D’autres candidats sont sur les rangs pour le poste, certains conseillers municipaux préfèreraient une seule école, mais privée. Il est cependant agréé puis il fait sa place dans le village : il devient secrétaire de mairie, se marie avec Irma Jeannin, il en aura 5 enfants. Tout semble aller pour le mieux…
Distinguons deux périodes :
-       De 1844 à 1850 : d’emblée, il met ses convictions en œuvre. Elles sont d’autant plus fortes qu’elles sont toute neuves. Il se bat pour améliorer son école et sa situation professionnelle. Il obtient avec fermeté un local plus grand, le prix unique pour tous les élèves quels que soient les enseignements reçus, commence à parler de gratuité que l’on pourrait assurer grâce à l’argent que rapportent les communaux loués depuis 39, une augmentation de son salaire de secrétaire en mettant sa démission dans la balance (il faut dire qu’il n’est payé que 80 francs et achète ses fournitures de bureau !).  Il prend aussi position sur certaines décisions municipales (l’usage des terrains communaux pour le seul profit des propriétaires par exemple puisque ceux-ci ont fait interdire le pacage par les petits animaux que possèdent les plus pauvres, en plus, c’est la commune qui paye les impôts fonciers et l’entretien de ces terrai). Dans ces attitudes,  il se heurte forcément à ceux qui détiennent le pouvoir dans la commune : les élus et les propriétaires. Bien qu’il continue de chanter à l’église ( par tradition l’instituteur est chantre), il prend ses distances avec le curé auquel il a confié ses convictions spirituelles.
Tout cela avec la détermination que lui donnent ses convictions apprises chez Lamennais et l’ aisance naturelle que lui donne sa culture.
La Révolution de 48 arrive. Sans haine pour le Roi, il accueille le changement  « avec bienveillance » dit-il et surtout loyalement. C’est comme on dit à l’époque « un républicain du lendemain ». Il voit soudain une voie nouvelle qui s’ouvre dans laquelle il s’engage avec enthousiasme. Il n’accepte pas que les hommes en place traînent les pieds. Par exemple, dans la plupart des villages, on a fait la fête sur la place, on a élu clairement les représentants qui doivent se réunir au chef-lieu de canton pour préparer les élections. Ici, pas de fête et des élus qui se désignent en catimini à deux reprises. Pierre Vaux leur fait savoir. Il n’accepte pas non plus la position hostile du curé : à l’office, on doit désormais chanter « Dieu sauve la République » au lieu de « Dieu sauve le roi », le curé fait chanter « Dieu sauve le peuple » ce qui est chargé de référence aux souffrances de 1789…Pierre Vaux réagit vivement et quitte sa fonction de chantre.
Il va devenir peu à peu le référent des républicains locaux qu’il conseille comme secrétaire lorsqu’ils prennent la mairie. C’est ainsi qu’il fait mettre en location les dernières parcelles de communaux pour que les pauvres puissent cultiver et manger. Cela agace un peu plus les propriétaires qui voient disparaître des terres dont ils disposaient gratuitement et de la main d’œuvre potentielle pas chère. Il va aussi faire supprimer l’indemnité de 150 F. payée au curé. La préparation des élections municipales de juillet 48 va achever de dresser notables et curé contre l’instituteur. Celui-ci prononce au cabaret un fameux discours digne de Karl Marx.
 Cependant, les espérances de 48 n’ont pas duré, la République s’achève lors des émeutes de fin juin et l’élection de Louis-Napoléon en décembre . Dès 49 la répression s’abat sur les instituteurs accusés d’être à l’origine des désordres de juin 48 qui ont scellé la fin de la révolution. D’une part, on accuse l’école de Guizot et les EN d’avoir mis de mauvaises idées dans les esprits, d’autre part leur ministre Carnot leur avait donné pour mission d’expliquer, dès mars 48, aux futurs électeurs les nouvelles règles du suffrage universel. Pierre Vaux ne tombe pas en 49, c’est un bon instituteur auquel il est difficile de reprocher quelque chose. En janvier 50, la Loi de Parieu accentue les mesures de suspension et de révocation. Bonne occasion pour l’abattre, d’autant que le département et tout particulièrement le chalonnais sont restés plus républicains que la moyenne nationale, les différentes élections le montrent. Un préfet à poigne, Leroy, a été tout spécialement nommé à cet effet. Au printemps 50, Pierre Vaux est victime de ces mesures : « relations, esprit de désordre », le motif est maintes fois utilisé contre ses collègues. Lui, avait déjà un dossier depuis ses débuts à Longepierre, en outre il a sans doute fait deux erreurs : l’envoi d’un « billet » à l’un de ses collègues secrétaire de mairie signé « Vaux, républicain rouge » et une participation à une réunion en faveur de candidats républicains lors d’une élection partielle à Chalon…
-       De 50 à 51 : Pierre Vaux n’a plus de travail ni de logement. Il reprend la culture avec ses beaux frères sur le lopin de sa femme, travaille dans une briqueterie. Arrivent les élections municipales de janvier 51. Il est élu maire. Le préfet nomme un autre homme de sa liste : Gallemard, le cabaretier qui désormais va tout faire pour se débarrasser de lui et de ses amis entrés en opposition, en utilisant l’arme du crime. Il n’aura pas de peine puisque ce sont aussi les intentions du pouvoir en place : se débarrasser de tous les républicains. Gallemard n’est sans doute qu’un agent indirect du régime par cupidité personnelle et pour protéger ses propres exactions. C’est dans ce contexte que commencent les incendies et c’est dans le cadre de l’enquête que commencent les tracasseries judiciaires contre Pierre Vaux (on l’accuse de voler du bois, d’avoir falsifié des documents pour défendre les pauvres…en vain), on le met en garde à vue en mai 51. Comme on n’en tire rien et que les incendies continuent Gallemard fait jouer sa pièce maîtresse, un pauvre homme du nom de Balleaut. Gallemard lui dicte l’accusation d’une société d’incendiaires dirigée par Pierre Vaux. (avril 52) Tous les détails sont faux et facilement démontables mais ils vont conduire à l’arrestation de Pierre Vaux en mai 52, à son procès les 24 et 25 juin avec 4 autres républicains et à leur condamnation aux travaux forcés pour lui-même et 3 d’entre eux.

Les années à Longepierre révèle un homme fragile :
Il n’a pour seule arme que sa foi en un Dieu- providence et l’amour de son prochain, il reste longtemps persuadé que les gens qu’il défend lui sont tous favorables, qu’il n’a pas d’ennemi. L’ambiance du village est tout autre.
Il n’a aucun appui, pas d’argent donc facile à abattre. Il est seul. A son procès, personne ne se lève : ni Lamartine, ni Leroyer, avocat qui deviendra ministre sous la troisième république. Les autres se cachent ou sont partis.
Il n’a pas vu les dangers : celui que représentait le personnage cupide et retors du cabaretier, celui du nouveau pouvoir en place par ses hommes de main, celui de la situation particulière du département de Saône et Loire, plus républicain que la moyenne et très surveillé à ce titre.
Il n’a pas de formation politique. Il n’appartient à aucun club, n’a pas lu les penseurs révolutionnaires comme Marx ou Proudhon qui commencent à produire des analyses utiles pour l’action. Il n’a pour l’heure que celles de Lamennais. Or, l’opposition de Lamennais « riches contre pauvres » n’est pas opératoire car les pauvres dans la France rurale de 1840 ne sont pas ouvertement opposés aux riches, leur principal souci est de ne pas tomber dans l’indigence et dès qu’ils le peuvent de grappiller un peu de propriété par tous les moyens ; en attendant  ils  sont soumis aux riches dont ils dépendent pour vivre ( comme métayers, journaliers ou manouvriers). Egalement,  Lamennais l’a convaincu qu’il suffit aux pauvres  de vouloir gagner puisqu’ils sont les plus nombreux. Marx démontrera qu’il faut aussi tenir compte des contradictions de classes et d’intérêts, de ce qu’il appelle « l’aliénation ». Admiré par les jeunes gens de l’époque, Lamartine a fait les mêmes erreurs.
Il est fier, inflexible. A plusieurs reprises, il lui aurait suffi de se mettre en retrait pour se sauver.
Dans ses fragilités, se trouve aussi la grandeur de Pierre Vaux.

Pour conclure et se souvenir

    Il  faudra du temps à Pierre Vaux pour comprendre qui sont les vrais coupables de sa chute et que les hommes en place ne reconnaîtront jamais son innocence. Cela leur est impossible. Il restera donc au bagne jusqu’à sa mort. Il écrira depuis Toulon, Brest et Cayenne des lettres touchantes à son épouse, à ses enfants, à des proches. La séparation de ses proches est une terrible épreuve. Il y raconte sa vie, ses espoirs et ses moments de tristesse profonde. Les mots sont une manière de dire sa souffrance et de la tenir un peu à distance. Au passage, on peut noter que la langue qu’il utilise est d’une rare élégance. Les lettres à Irma et le mémoire qu’il rédige pour sa défense nous donnent enfin quelques éléments sur sa personnalité. Au bagne, il a un emploi protégé grâce à la protection du gouverneur qui a très vite compris à la fois le crime judiciaire contre cet homme et ses immenses qualités, il va d’ailleurs l’aider dans ses démarches pour faire émerger la vérité à partir de 1855. Cette éventualité restant inenvisageable pour le pouvoir, il finit par faire venir sa famille, comme la loi l’y autorise après 8 ans de peine et une installation à demeure. Il n’a alors plus grand espoir quant à sa situation. Leur vie n’est pas du tout celle que la publicité dans la presse la décrit à propos de ces nouveaux bagnards qui vont faire du territoire un eldorado. Elle est très difficile, marquée pour la famille par de terribles épreuves : maladies, malnutrition, décès… Le martyre continue sous une autre forme. Ses fils et sa fille survivants raconteront tout cela à leur retour car tous vont rentrer après le décès de Pierre Vaux en Janvier 1875.
Il meurt après avoir été torturé depuis un procès inique jusqu’aux silences méprisants du pouvoir à son égard,  sans même savoir qu’une grâce lui a été accordée juste avant la chute de l’Empire. Mais peu lui importait la grâce puisqu’il criait son innocence. La troisième république mettra encore 22 années pour l’innocenter et le réhabiliter au terme d’un combat ardent de Pierre-Armand Vaux, le fils aîné. Il faudra aller jusqu’à modifier la loi existante à l’Assemblée nationale. La cour de cassation, aussitôt saisie après le vote, a été à la hauteur de sa tâche : J.P. Manau prononce un réquisitoire émouvant en décembre 1897, il critique alors de manière ferme les magistrats de 52 et 55. Manau prononcera aussi le réquisitoire en faveur  de Dreyfus en 1906 et rappellera, avec émotion, l’affaire Pierre Vaux à cette occasion.
Grâce à ce nouvel éclairage sur Pierre Vaux que j’ai voulu apporter, puissions-nous désormais garder en mémoire l’homme immense et porteur de valeurs toujours actuelles. » 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire