mardi 13 décembre 2016

Retour sur la Marianne au sein nu



Retour sur la Marianne au sein nu

La Marianne au sein nu de l'école Jean Jaurès à Montceau


Le symbole républicain

Le peuple est moins capable de se souvenir de la Première République (1792-1799) que de l’empereur Napoléon Premier : ce dernier va monopoliser abusivement toute une imagerie jusqu'en 1848. Alors, au pouvoir en cette première année de la Seconde République, les républicains comprirent la nécessité d'incarner celle-ci par une imagerie capable d'effacer la précédente. Malheureusement, sans qu'on oubliât complètement la représentation de Marianne ainsi née, Napoléon III (1852-1870) lui substitua celle de sa propre personne.





Les républicains persécutés sous le Second Empire, pour affirmer leur opposition à celui-ci, redonnèrent à la République vaincue le nom de Marianne, c'est-à-dire le nom d'une société secrète républicaine. C'était aussi le prénom d'une pauvre paysanne : "un prénom populaire voué à désigner le régime qui se voulait tel"...

Les deux prénoms Marie et Anne étaient très répandus au xviiie siècle dans les milieux populaires de France, notamment à la campagne, ou encore dans le personnel domestique des maisons bourgeoises. Son utilisation comme symbole de la République a été attribuée à une chanson révolutionnaire du pays albigeois composée en 1792, La Guérison de Marianne, dix jours après la fondation de la République.

Bernard Richard (Les emblèmes de la République, CNRS Éditions, 2012) précise qu’en 1848, durant la Deuxième République issue des élections du 23 avril (premier suffrage universel masculin depuis 1792), « La République a été matérialisée par M. de Lamartine, lors de l’assemblée constituante. Il a fait irruption, alors que les pairs de France, réunis, cherchaient leur modèle. C’est donc le buste de Marianne de Lamartine, érudite, artiste, anglaise, muse et épouse du poète restée à Milly (Saône et Loire) qui a donné pour la première fois son buste, sans lequel Alphonse ne voyageait pas, à notre république. Elle a été ensuite copiée, représentée, un gouvernail et un sac de blé à moitié renversé à ses pieds. Cela représentait le fait qu’elle était peu soucieuse de puissance, se préoccupant surtout des aspirations du peuple. Il en existe plusieurs versions portant des symboles maçonniques. »


Une Marianne aux symboles maçonniques


C’est ainsi que la symbolique du buste de Marianne représentant la République et sa devise « liberté, égalité, fraternité » est reprise de façon clandestine, presque idolâtre : Félix Pyat, pamphlétaire républicain qui sera exilé en 1849, s'adressait à cette femme imaginaire qu'il idéalisait, avec une exaltation quasi-religieuse : "Fille de Dieu, tu vis avec les gueux, les humbles, les pauvres, avec les ilotes, les prolétaires, les misérables... Tu n'aimes que le peuple, parce que le Peuple seul t'aime..."

Au début de la Troisième République, ses fondateurs du 4 septembre 1870, réduits dès 1871 à se défendre contre une majorité royaliste, reprirent cette image. Dès lors, on réserva le nom de Marianne aux bustes de la République, rendus plus populaires par leur bonnet phrygien (les personnages sur pied étant nommés "statues de la liberté").

Marianne fut vite considérée comme séditieuse et malgré les interdictions et les sanctions : sous les présidences de Thiers (1871-1873) et de Mac-Mahon (1873-1879), elle accompagna les républicains jusqu'à leur victoire de 1876. A partir de 1880, elle fut diffusée vers les mairies et les écoles de toute la France.


La Marianne à l'écharpe


Plusieurs types de représentation sont apparus, selon que l’on privilégia le caractère révolutionnaire ou le caractère « sage » de la Marianne : le bonnet phrygien fut parfois jugé trop séditieux, comme le fut la Marianne, et remplacé par un diadème ou une couronne d’épis représentant une République modérée. Dès le XXème siècle, la version révolutionnaire l’emporta et notre Marianne s’appropria pièces de monnaie et timbres notamment. 


Pièces de monnaie (collection musée)


Timbre "Empire Lauré" brun-rouge de 2 centimes, 1870 (collection particulière)


Timbre républicain "Siège de Paris" bistre-jaune 10 centimes, 1870 sur Paris et 1871 dans toute la France (collection privée)


Au demeurant, peu savent que la présence du buste de la République dans une mairie, un hôtel de ville, un palais de justice, un tribunal ou encore une école n’a aucun caractère obligatoire. Il n’y a pas plus de modèle imposé bien que diverses décisions législatives ou réglementaires aient contribué à la diffusion des bustes de Marianne.
Pour les puristes enfin, sachez que de nombreux symboles s’attachent à la représentation de Marianne :
-          le bonnet phrygien (symbole de la Liberté)
-          la balance (symbole de la justice)
-          niveau et delta (symbole de l’égalité)
-          le faisceau (pouvoir exécutif)
-          l’étoile (symbole du guide)
-          la cocarde tricolore ou l’écharpe tricolore (symbole de la République)
-          une couronne végétale : le blé (symbole nourricier) / le laurier (symbole des arts et lettres) / le chêne (symbole de force) / l’olivier (symbole de paix)
-          la toge / la fibule / la gorgone (symbole de l’Antiquité)
-          l’armure (symbole de la force)
-          le lion (mythe d’Hercule ou du courage civique)
-          le coq (symbole de vigilance).
Et la liste n’est pas close…


Marianne coiffée d'une couronne d'épis à étoile, symboles d'une République modérée


Finalement, la Marianne a combattu pour l'œuvre du ministre Jules Ferry fondateur de l'école laïque, grâce aux maîtres qui l'introduisaient dans leurs classes. S'ils avaient des tendances politiques de gauche, ils la préféraient avec un sein nu, symbole du sein nourricier de la Patrie  !


P.P






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