jeudi 17 novembre 2016

Les bataillons scolaires

Création, organisation et fonctionnement
des bataillons scolaires

La préparation des corps

"Méthode de lecture, cours préparatoire, livret 2" Cuissard, 1900


La loi du 28 mars 1882 met la gymnastique et les exercices militaires au nombre des matières d’enseignement des écoles primaires publiques de garçons :

« Art. 1  L’enseignement primaire comprend :
             1°) l’instruction morale et civique
             2°) la lecture et l’écriture
             ………
             9°) la gymnastique
            10°) pour les garçons : les exercices militaires pour les filles, les travaux d’aiguilles ».  




 L’existence légale des bataillons scolaires est reconnue par un décret en date du 6 juillet 1882. Un arrêté du 27 juillet 1882 précise leur constitution dans les communes. Les exercices des bataillons ne pourront avoir lieu que le jeudi et le dimanche, le temps à y consacrer sera déterminé par l’instructeur militaire de concert avec le directeur de l’école. L’engouement est certain parmi la population en général. A partir de 1889, l’instructeur militaire désigné par l’autorité militaire pourra être l’enseignant qui sera souvent un sous-officier ou un officier de réserve.

Aux instituteurs, le 15 avril 1884, Paul Bert dira : « Nous devons faire, par une éducation à l’école commencée par vous, continuée au régiment avec vous, de tout enfant un citoyen, de tout citoyen un soldat. »

Le bataillon est organisé militairement, les élèves portent un uniforme qui est une copie de celui des bataillons parisiens (le béret à pompon est emprunté aux marins). Le matériel préconisé par le ministère de la Guerre est spécialement fabriqué et adapté pour les jeunes garçons de 12 à 14 ans : mini clairons, petits tambours et répliques réduites des fusils GRAS et LEBEL de l’époque. Certains sont en bois pour l’apprentissage du maniement d’arme et les défilés, d’autres peuvent tirer des projectiles de petits calibres pour les exercices de tir des élèves.


Bataillon scolaire de Naintré vers 1890


Ces soldats en herbe obtiennent des récompenses (médailles de vermeil, d’or, d’argent ou de bronze) décernées par le ministre de la Guerre, et défilent à l’occasion sous le regard attendri des badauds. Badauds qui devaient conserver un souvenir ému du premier de ces défilés à Paris, le 14 juillet 1882 (redevenu Fête Nationale en 1880). Il est vrai que ce fut un énorme succès populaire. La presse républicaine était enthousiaste : « Les petits soldats portent une vareuse et un pantalon bleu sombre et sont coiffés d’un béret de même couleur à pompon rouge, l’ensemble commode et élégant, rappelant le costume des mousses de la marine. (On n’oublie pas que les marins ont défendu Paris en 1870-1871, ni qu’ils sont les principaux héros des conquêtes coloniales de la 3ème République). Dans l’après-midi, le bataillon s’était réuni au square Monge et, précédé d’une escouade de sergents de ville qui faisait ouvrir la foule, il est arrivé, tambours et clairons en tête, vers 5 heures sur la place de l’Hôtel de Ville. Des masses énormes de curieux entouraient la place et les fenêtres et les balcons étaient surchargés ; une immense acclamation et des applaudissements ont salué l’entrée de la jeune troupe (…). Les petits soldats ont exécuté divers exercices, puis ils ont défilé. Ce qu’on a pu obtenir d’eux en trois mois d’exercices a émerveillé tout le monde ». Les campagnes ne sont pas en reste et les républicains exultent, l’un d’eux écrit à son député, M. Turquet : « Nous avons fêté le 14 juillet et le buste de la République a été promené, par le régiment scolaire, par tout le village. Revue, jeux, exercices, illuminations, bal : nos enfants ont bien payé de leur peine. La République doit être fière de sa jeune génération. Encore 10 ans et elle sera invincible. Que c’est beau la fête de la Patrie ! Comme le cœur est touché ! ».


Bataillon scolaire de Naintré à la Fête du 14 juillet


Avec l’apprentissage et l’utilisation du fusil scolaire, les fabricants d’armes essaient d’emporter le marché lucratif de leur vente. Des théories militaires sont imprimées, qui permettent aux instructeurs et aux instituteurs d’entraîner correctement leurs troupes. Les bataillons participent à toutes les grandes manifestations publiques. Mais ils se préparent surtout, comme à Paris, au défilé du 14 Juillet qui constitue l’apothéose de la préparation. Les bataillons scolaires sont en marche, ils chantent des chansons patriotiques composées spécialement pour eux : les paroles de ces airs sont souvent tirés d’un manuel de musique édité en 1886 dont les paroles sont de H. CHANTAVOINE  et la musique de MARMONTEL : « À la Patrie, nous donnerons dans dix ans une jeune armée AGUERRIE. Bataillons de l’ESPERANCE, nous exerçons nos petits bras à venger l’honneur de la France. »


"Lecture expliquée" Victor Bouillot, 1910. Illustration "Enfants jouant à la guerre"


 En 1886, année où on enregistre les effectifs les plus élevés, 146 bataillons sont constitués et reconnus par le ministère de l’Instruction, 49 départements sur 87 ont un ou plusieurs bataillons, 43326 élèves sont incorporés dans ces bataillons. Ce nombre de 49 départements est trompeur, il ne signifie pas qu’aucun bataillon n’existe ailleurs. En effet, chaque année, les Préfets demandent aux autorités académiques de chaque département de signaler les bataillons constitués selon les instructions (notamment le respect du nombre de 200 élèves, peu souvent atteint), souvent, les Inspecteurs renvoient un état néant car aucune commune ne répond aux exigences. C’est le cas de la Saône-et-Loire malgré les nombreuses délibérations de Conseils municipaux républicains qui demandent la reconnaissance de leur bataillon et l’obtention du drapeau, en vain… On trouve malgré tout, aux archives départementales de Mâcon, la presque totalité des récépissés de réception des trois fusils de tir réel dont sont dotées toutes les communes. Il ne s’agit cependant pas de décevoir les ruraux républicains et un arrêté est promulgué le 20 décembre 1882 en faveur des enfants des petites écoles dispersées dans les campagnes. Autorisation leur est donnée de recevoir l’instruction militaire même s’ils ne sont pas assez nombreux pour former un bataillon.

La question du dépôt aux bataillons scolaires d’un drapeau officiel venu du Ministère est primordiale. Jules Ferry en personne, vient apporter la bonne parole aux 650 élèves du premier bataillon scolaire de Paris, le 13 juillet 1882 en leur disant : « Sous l’apparence d’une chose bien amusante, vous remplissez un rôle profondément sérieux : vous travaillez à la force militaire de la France de demain ». Le drapeau est le symbole de la République et, à ce titre, les plus hautes autorités gouvernementales ne veulent pas dévaloriser le geste de sa remise. Une circulaire aux Préfets, en 1883, rappelle que c’est un honneur de recevoir le drapeau de la France au nom du chef de l’Etat, à l’occasion de la Fête Nationale et que la distribution doit se faire avec une sage réserve. Pour le 14 juillet 1882, 39 bataillons recevront leur drapeau. Etonnant quand on pense que le décret de formation de ces derniers ne date que du 2 juillet 1882, c’est-à-dire huit jours avant ! Des initiatives locales auraient-elles précédé la loi ? 


Bataillon de Naintré à la Fête du 14 juillet


Donner une éducation morale, physique et militaire dans les écoles est ce que recherche l'institution de ces bataillons scolaires. Dans les écoles primaires, l'enthousiasme est certain, mais on constate avec le temps, un essoufflement du patriotisme scolaire dont les manifestations avaient été d'une grande ferveur jusque vers 1884-1885. De plus, ces bataillons ne remportent pas un grand succès dans l'enseignement secondaire.

L’esprit guerrier et de sacrifice, lui, restera présent dans les  écoles de la République jusqu’à la fin de la Grande Guerre. Cet idéal que l’on pourrait qualifier de spartiate, était relayé par la majorité des pédagogues, hommes et femmes confondus, convaincus de la nécessité absolue du départ de leurs enfants au combat :
« France ! Veux-tu mon sang ?
Il est à toi ma France !
S’il te faut ma souffrance,
Souffrir sera ma foi.
S’il te faut ma mort, mort à moi
Et vive toi,
Ma France !
Extrait repris d’un texte de Delaprade dans « Jean et Lucie, histoire de deux jeunes réfugiés. La Guerre racontée aux enfants. » Livre de lecture pour les cours moyen et supérieur, par Mme Dès. Paris, F. Nathan, (1919), « La France Immortelle ». 
Cet appel au sacrifice suprême, si présent pendant les quatre années du conflit 1914-1918 fut l’aboutissement d’une longue préparation commencée dès la naissance de l’école publique. Cette idée ainsi bien ancrée dans les esprits, a peut-être permis l’acceptation de cette Guerre si dévoreuse d’hommes.

Un manuel, paru en 1896, insiste sur les bienfaits des exercices physiques : « en s’y livrant…on est bon pour tous les métiers, sans parler de celui de soldat, que tout le monde doit être capable de faire et dans lequel on court le risque de se faire tuer quand on n’est pas leste et fort ». Ainsi se crée le mythe de l’invincibilité des guerriers.

P.P

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